Une couche d'anti-trouille

Isabelle Métral

4/7/20193 min read

Nous sommes tous confrontés un jour ou l'autre, à une peur qui nous bloque, une peur qui nous gâche l'instant présent. L'inconnu inquiète toujours car il apparaît comme ardu - parfois à juste titre - mais il nous semble souvent impossible de l'affronter de façon sereine. Quoi que vous fassiez, cette peur est là et bien là et c'est comme s'il n'y avait plus rien d'autre que sa présence obsédante, écrasante.

Bref, vous avez une peur bleue.

Alors, puisqu'elle est là, décidez d'aller affronter l'ennemie dans les yeux pour vous en débarrasser une bonne fois pour toute. Prenez un instant de calme pour cette rencontre. Dessinez une silhouette sur un papier ou sur votre écran mental et concentrez-vous.

Commencez par définir de quel bleu exactement est cette peur : outremer, ciel, pétrole, canard, turquoise ? Le choix est vaste ! Ou bien, tant qu'à faire, donnez-lui un pedigree un peu plus élaboré, comme Lune Cendrée, Petit Matelot ou Plume de Paon (dans un des nuanciers Dulux Valentine) ou carrément Bleu Pagode, Ciel d'Hiver ou Bleu Crépuscule (tiré de Colorstrology de Michele Bernhardt) ! Remarquez que le temps passé à définir la teinte exacte de votre peur vous a déjà fait prendre du recul, afin de la voir mieux et de loin. Et peut-être aussi fait sourire en vous imaginant dire « J'ai une peur Bleu Pagode » ; cela fait déjà moins sérieux et du coup...moins peur !

Imaginez maintenant la forme exacte de cette peur Bleu Pagode (ou d'une autre nuance) ? Est-ce un gros nuage épais qui obscurcit le paysage, un paquet d'aiguilles qui pique douloureusement, un nœud bien serré qui opprime, un aspirateur qui avale toute l'énergie ? Et où habite cette peur bleue ? Se loge t-elle dans le conduit de votre gorge comme un carton encombrant qui bouche le passage et sur lequel on trébuche sans arrêt ? Est-elle écrasée sur votre poitrine comme un poids de plomb et fait-elle perdre le nord à votre cœur ou bien est-elle boulonnée à votre ventre sans plus rien laisser bouger ? Ou bien encore réside t-elle dans vos jambes et vos bras en les réduisant à l'état de coton ?

Dessinez mentalement ou bien sur votre feuille en utilisant la nuance de bleu que vous avez choisie, les endroits où cette peur aime bien se nicher et sous quelle forme. Ne vous bloquez pas, l'idée n'est pas de faire un tableau de maître mais de décortiquer cette peur, de lui faire perdre de sa puissance en prenant conscience de ses différents aspects.

Évoquez maintenant le comportement de cette peur avec le voisinage (en l'occurrence vous-même) : signale-t-elle bruyamment sa présence, même à une heure avancée de la nuit (alors que vous auriez bien besoin de dormir) ? Est-elle du genre à cogner à la porte de votre poitrine sans arrêt, à couper l'électricité de toutes vos connexions (et surtout quand vous devriez réfléchir et donner une réponse pertinente à votre interlocuteur), à envahir votre territoire sans crier gare ou à vous ramener subitement à l'âge de glace ou à celui de pierre ? Et quel est son message ? A-t-elle réussi à vous faire croire que sa voix est plus forte que la vôtre ? Vous a-t-elle convaincu que vous n'êtes bon à rien ? Vous coupe-t-elle la parole (et le souffle), les jambes (et la tête, mais ça c'est une autre chanson), bref la peur vous vous fait-t-elle plonger dans ses méandres bleu nuit ?

Enfin, d'où vient-elle ? Elle vous a souvent connu toute petite ou tout petit et c'est bien souvent là qu'elle est née. Lorsque votre cerveau d'enfant n'avait pas encore la capacité de prendre du recul, de faire la différence, de trier. Elle a, sans relâche, continué à creuser son sillon. Ainsi, même maintenant que vous êtes plus grande, plus grand, ce sillon semble rester la seule route empruntable, l'unique réaction possible. Regarder sa provenance permet de relativiser cette peur, de remettre les choses dans leur contexte et de s'apercevoir que la situation est différente désormais ; vous avez toutes les capacités, toutes les ressources pour réagir à l'avenir de façon adéquate, sans plus vous laisser impressionner.

Vous avez maintenant le portrait robot détaillé de votre peur bleue : sa couleur exacte, sa forme, l'endroit où elle se loge, son comportement, son message, ses origines. Vous pouvez rajouter au-dessus de votre dessin (virtuel ou réel) le fameux WANTED associé à une récompense élevée si vous dénoncez cette peur la prochaine fois que vous la croisez.

Une fois votre affiche terminée, inspirez profondément, bloquez votre respiration et déchirez votre feuille en mille morceaux puis soufflez fortement par la bouche en imaginant disperser au loin les derniers fragments de votre peur....

Car sans peur bleue, la vie est bien plus rose et rien ne vaut cette récompense !